How to disappear completely

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Quelle étrange chose, la sérendipité. Ce texte me taraude depuis quelques mois. Alors pourquoi pas ce soir ? Tout commence avec un résonateur.

La couverture de Brothers in Arms de Dire Straits. Un résonateur National Style O flotte sur un ciel nuageux. Un résonateur ? Une grosse guitare en métal. Lourde comme un âne mort. En métal. Comme celle-ci.

Ces guitares vibrent tout ce qu’elles peuvent, tout le temps. Marchez à côté d’une et vous l’entendrez vibrer. Résonner. D’où le nom.

Accordez l’engin en Ré. Tout cela est très technique pour qui n’y connaît rien en musique. Qu’importe. Sachez ceci : vivre à côté d’un résonateur accordé en Ré, c’est être hanté par un morceau de Radiohead. How to disappear completely, qui s’ouvre sur un accord de Ré. Comment disparaître complètement ? En cherchant les accords suivants (F#m, A) pour interpréter ce morceau à la guitare, j’ai découvert que cette question taraudait bien des gens. Chercher des accords et trouver désaccord, avec rien moins que le monde. Il fallait s’y attendre, sans doute.

Conseil : déclenchez la vidéo et continuez à lire.

Beaucoup considèrent cette chanson comme la meilleure de Radiohead. Même Thom Yorke, le chanteur multi-instrumentiste et co-compositeur du groupe la considère comme “le morceau par lequel il voudrait que les gens se souviennent d’eux”. Pourquoi ? Parce qu’il estime que c’est leur plus beau titre, musicalement. Dont les mots du titre se traduisent par “comment disparaître complètement”. Question ou guide ?

Wikihow, le site des How to, le petit nom anglais des tutoriels, traite de sujets aussi divers que construire un établi, méditer, écrire un journal intime, traiter le coronavirus (soupir), et aussi How to disappear completely (en images). Oui, hein. Et nous avertit : disparaître ne résoudra pas vos problèmes et pourra même empirer les choses pour votre famille et vous.

Encore une de ces nuits, hein ?

Les commentaires sous la première vidéo qui remonte dans les liens semblent lui donner raison. Tous les commentaires de toutes les vidéos, clones de l’officielle, ou reprise minimaliste par un chanteur de pizzeria, doué et pourtant bruit de fond des gens qui mangent en réussissant l’exploit de ne pas fondre en larmes entre les anchois et la sauce piquante. Tous, tous ces commentaires sont aussi fous, résignés, lumineux, désespérés, rassurants, lumineux et superbes que la chanson.

Ici, North raconte comment un soir de réveillon, il a prétendu fêter la nouvelle année avec des amis alors qu’il était seul, et qu’il est sorti regarder les feux d’artifice au son de cette chanson. Un moment de solitude. De plénitude.

Un an après il revient commenter pour annoncer qu’il se remet d’une tentative de suicide. Qui raconte ça dans des commentaires de vidéo YouTube ? Est-ce vrai ? Est-ce une expérience transmedia, d’écrire des nouvelles sous des vidéo Youtube ? How to disappear… est-elle une chanson sur le suicide ? Maudite comme Sombre dimanche, ce Gloomy Sunday de Billie Holiday, et encore avant chanson hongroise tellement déprimante qu’une légende urbaine fut créée pour la promouvoir : elle pousserait les gens au suicide. Faut dire qu’en sortant un tel titre en Hongrie en 1933, et en l’exportant aux États-Unis en pleine Grande dépression… Des titres qui nous perdent tant qu’on ne sait plus où placer le point d’interrogation… How to disappear completely, alors ? Ses auditeurs fans oscillent entre la fascination morbide, l’association à des souvenirs douloureux et au contraire des mécanismes de survie. Disparaître consisterait moins à cesser d’exister que cesser de lutter contre l’inévitable. Une expérience zen.

Off grid

Et les survivalistes dans tout ça ? Disparaître pour échapper au système, à la surveillance, à l’ennemi… John Connor le faisait déjà dans Terminator 3 pour tromper la vigilance de Skynet. Plus de carte bleue, d’adresse fixe, de téléphone portable. Rien. Un mécanisme du survie encore. Toujours. Ironie du sort, à la fin du film, le spectateur découvre que Skynet, le méchant ordinateur éveillé à la conscience, n’a pas plus d’adresse unique que son adversaire humain. L’humain s’est soustrait à la grille qu’il croyait n’être qu’un organe alors que l’ordinateur est devenu la grille.

Le monde ne peut pas être devenu cet organisme numérique parasite, alors soustraire le monde de soi. Ça ou se soustraire au monde, impossible division par zéro. Donc rejet. La greffe n’a pas pris. Vertige. Quant au mystère du code… combien de développeurs se sont demandé “mais pourquoi mon affichage a complètement disparu ? Et comment ?”. J’ai connu. Solidarité, chers anciens collègues.

Alors, oui, encore une de ces nuits. How to disappear completely est une “night song”. Qui écouterait ça de jour ? Ou alors dans une brume pluvieuse, à la rigueur. Sur une route, rectiligne, mais surtout pas une autoroute. Respectez-vous, pas une autoroute bon sang.

I’m not here. D’ailleurs, ce texte n’existe pas. Retournez voir le clip. Et rassurez-vous. This is not happening. Je vais bien.

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