Après cette expédition au Mont Matoury, je regagnais mon hôtel où le réceptionniste me demandait d’un oeil suspect mon numéro de chambre, mon nom, mon adresse, mon numéro de sécurité sociale, et un échantillon ADN pour s’assurer de ma légitimité à rentrer dans son prestigieux établissement.
Il faut dire que la forêt est certes suffisamment épaisse pour vous protéger de la pluie. Malgré cela quelques gouttes passent la canopée, et en plus, vous transpirez, à crapahuter dans les bois par 30ºC (oui même à 7h du matin – cherchez pas, il fait toujours 30ºC du moment que le soleil est levé).
Après avoir satisfait aux différents contrôles, j’étais habilité à regagner mes peinates, où je me douchais après avoir pris un copieux petit-dej (tout ça n’est pas bien passionnant, je vous l’accorde, mais si vous cessiez de m’interrompre sans cesse, on pourrait avancer et discuter de choses intéressantes).
Après une sieste matinale et un repas sur le pouce, je partais pour Roura, à quelques kilomètres de Cayenne. De là, direction les Marais de Kaw.
Qui ne sont pas vraiment des marais, d’ailleurs. Il s’agit en fait d’une cuvette enclavée entre quelques collines. La surface totale des collines étant largement supérieure à celle de la cuvette, les pluies ruissellent, et le temps que tout ça s’évacue, la petite rivière déborde et inonde toutes les savannes autour. Du coup, les bestioles ont un plus grand terrain de jeu.
L’endroit, comme plus de 50% de la Guyane, est classé réserve. Notre guide, qui a été trappeur pendant 40 ans, et qui manifestement connait bien le coin et comment la nature fonctionne – on le verra plus loin – dénonçait à ce propos la tendance qui vise à tout protéger. Sans jamais cesser de dire qu’il faut faire extrêmement attention à ce qu’on fait, cela n’interdit pas de faire des choses, comme par exemple exploiter le sous-sol guyanais pour créer enfin un peu de richesse dans cette région à plus de 25% de chomage.
Par ailleurs, le moto “On protège tout” frôle l’absurde dans certains cas, et dans celui du marais de Kaw en particulier. Les occidentaux – des Rouennais – y sont arrivés courant 18eme, et ont commencé à irriguer les terres pour en faire une exploitation agricole (les chenaux sont encore visibles et praticables aujourd’hui). Manque de chance pour eux, l’abolition de l’esclavage est arrivée les travaux finis, et ruinait la rentabilité de l’opération. Les esclaves, laissés à eux-mêmes, se sont installés là, et ont composé avec le pays.
1998, l’endroit devient réserve naturelle : plus le droit de pêcher, plus le droit de chasser, plus le droit de rien cueillir.
Résultat : le Héron Cocoï, espèce extrêmement rare, se remet à proliférer. Joie dira-t-on. Sauf que le Héron en question était précisément chassé de manière parfaitement raisonnée par les habitants, pour la simple et bonne raison que cette connerie de piaf bouffe du bébé caïman à tour de bras. Aujourd’hui on a donc des Hérons, mais plus de renouvèlement des Caïmans… qui risquent de se retrouver menacés par une surmortalité quand ils sont petits.
Autre exemple : le Moucou moucou est une plante assez moche, qui vit très bien dans les marais. Tellement bien qu’elle est en train de tout envahir et de tout recouvrir, détruisant toutes les savanes. Avant, sa progression était limitée par l’incendie annuel pratiqué en saison sèche. Ce qui n’a jamais empêché quoi que ce soit de repartir. Alors évidemment, il y a peut-être quelques espèces endémiques qui ont disparu en 1800, mais depuis plus de deux cents ans qu’un rythme et un équilibre étaient trouvés, on se demande pourquoi aucune consultation n’a été menée sur la réalité du terrain.
Vous me direz que je n’ai eu qu’un son de cloche, mais ça amène toutefois à réfléchir…