Elle fait aussi des choses de ses dix doigts (et de sa tête).
Elle est belle. Tous s’accordent à le dire. Elle ne sera pas du type de chacun, bien sûr, mais tous s’accordent à reconnaître l’harmonie de ses traits, la lumière de son sourire, l’espièglerie de son regard, bref, un agencement heureux de caractéristiques physiques libellés dans le monde occidental contemporain de “beau”.
J’ai souvent dit que dans le fil d’actualité de mon réseau social, elle remplaçait avantageusement un abonnement au site Bonjour Madame (un site classe s’il en est, puisqu’il propose chaque à l’internaute la photo d’une beauté féminine court vêtue, devant laquelle on perdrait tous ses moyens au point de ne plus savoir que bredouiller un primal “bonjour madame”, la bave aux lèvres et le regard lubrique – rassurez-vous, Bonjour Monsieur existe également).
Et je me rends soudain compte de ce que mon comportement peut avoir de réducteur envers cette personne. Me viendrait-il à l’idée de féliciter quelqu’un parce qu’il est grand ? Ou qu’il a dix doigts ? Deux bras ? Deux jambes ? Ces exemples sont caricaturaux, dans le seul but de vous montrer l’absurde de cette attitude. Cette jeune femme bénéficie, grâce aux hasard de la génétique, d’un physique qui correspond assez bien aux canons de beauté occidentaux contemporains. Coup de bol, comme le mien d’être un mâle blanc hétérosexuel cisgenre vivant au dessus du seuil de pauvreté dans un pays riche occidental. Je croise dans la rue nombre de belles personnes (comprendre : qui correspondent à mes critères subjectifs de beauté). Je ne les aborde pas pour autant sur cette seule base. C’est une règle que je me suis fixé : ne pas réduire les personnes à leur physique. Je peux signaler au détour d’une conversation, tout le bien que je pense de leur apparence, mais ça ne saurait être le seul guide de mes relations sociales.
Pour revenir à notre amie, je la connais pour ainsi dire peu – je l’ai croisée quelques jours et j’ai échangé avec elle deux trois fois autour d’une petite annonce pour un objet que je ne lui ai pas acheté au final. Mais l’écrasante majorité des interactions que j’ai avec elle se résume à “graou”. Je connais pourtant une des ses activités artistiques : je ne l’ai jamais félicitée pour ce travail dont je suis pourtant véritablement admiratif. De la même manière, sa profession m’intéresse : je n’ai jamais échangé avec elle sur ces sujets.
Bien sûr, il est impossible d’avoir des échanges approfondis avec toutes les personnes qui vous entourent et qui ont des activités passionnantes. Et on peut trouver quelqu’un beau, attirant, plaisant à l’œil. Est-ce une raison pour réduire cette personne à son seul physique ?
J’ai la réponse à cette question purement rhétorique. J’espère que vous aussi.