Bruce Springsteen a découvert les premières apparitions à la télé, les premières diffusions à la radio d’Elvis, des Beatles et de Bob Dylan et rêvé de devenir un musicien mondialement célèbre. Il y est arrivé, obtenant une reconnaissance autant critique que publique – ce qui ne l’a pas empêché de sombrer dans la dépression.
Le soir où Neil Armstrong marchait sur la lune, son groupe et lui se faisaient virer d’un bar où ils jouaient – le batteur avait demandé un peu trop fermement qu’on éteigne la télé pour qu’ils puissent redevenir le centre de l’attention.
Sa chanson la plus connue l’a fait passer pour un réac nationaliste auprès de ceux qui n’écoutaient pas les paroles. Ces mêmes paroles qui faisaient pleurer les vétérans du Vietnam, parmi lesquels des amis à lui, dont certains n’étaient pas revenus. Le message est tellement bien passé que son pays ne s’est plus jamais lancé dans aucune guerre, ni en Afghanistan, ni en Irak, ni nulle part ailleurs. Au moins maintenant, traitent-ils bien leurs vétérans. Non, bien sûr que non.
Il a chanté pour défendre les travailleurs, assisté aux délocalisations, d’abord internes aux Etats-Unis, puis vers l’étranger, refusé d’être récupéré par Reagan il a soutenu John Kerry contre la ré-élection de Bush, puis Obama, deux fois, puis Sanders, puis Clinton parce que Trump ne pouvait pas gagner, il en était persuadé.
Il a vécu le mouvement pour les droits civiques, l’assassinat de Martin Luther King Jr, la création d’un jour férié en l’honneur de ce dernier, l’assassinat d’Amadou Diallo de quarante-et-une balles par quatre policiers qui craignaient qu’il sorte une arme quand il ne voulait que présenter ses papiers, le mouvement Black lives matter et aujourd’hui l’assassinat d’un père de famille noir de quarante balles parce qu’il avait un iPhone en main. Un terroriste blanc peut être appréhendé sans un coup de feu après avoir abattu dix-sept lycéens en Floride mais un père de famille noir ne peut pas avoir de téléphone en main dans son propre jardin.
Cinquante ans de carrière et en être toujours au même point des causes défendues. Voire, la situation empire, elle empire forcément puisque les mêmes faits divers reviennent toujours, la crise se transforme en système depuis quarante ans. Il y aurait de quoi abandonner, peut-être. Il serait tout aussi indécent de considérer que la balle de différence entre 2001 et 2018 constitue un progrès. Qui sait ce qu’en pense le Boss, généreux avec son public mais avare d’interviews ? Il ne lâche rien de ses engagements, malgré les défaites. Conviction ou panache ? Qui sait, est-ce seulement important ?
Je ne le connaissais pas au-delà de quelques titres et d’une image de working class hero assez juste. De là à dire que quelques heures à écouter une Grande Traversée que France Culture lui a consacré. Mais j’ai envie de m’en inspirer, aussi dur cela soit-il.