Try hard

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Jeu vidéo, écriture et épiphanie (sans galette).

Je ne vous apprends rien : j’écris. C’est dur, c’est long, c’est pas toujours très motivant parce qu’un résultat satisfaisant arrive toujours trop tard pour mon exigence de perfection immédiate, bref, j’écris, mais surtout demain. Procrastination, que serais-je sans toi ?

Je vous l’apprends peut-être, je joue à un jeu vidéo, enfin à plusieurs, mais surtout un, qui s’appelle Hearthstone. Que les connaisseurs me pardonnent, je vais décrire le jeu en termes accessibles pour des néophytes.

Hearthstone est un jeu où on dispose d’une réserve croissante d’énergie pour lancer des sorts et invoquer des serviteurs, le tout dans le but de réduire le total de points de vie de l’adversaire à zéro. Chaque joueur se constitue un panel de sorts et de serviteurs au départ, qui arrivent à disposition progressivement et au hasard (ce qui fait qu’on se retrouve parfois avec un gros dragon nécessitant 10 points d’énergie quand la jauge disponible n’est encore que de deux ou trois). Le tout bénéficie de plein d’interactions entre sorts et serviteurs, vous pouvez développer plein de stratégies différentes, bref, c’est très riche. Enfin, les affrontements entre joueurs se font au sein d’un classement qui va du rang 50 au rang Légende. Vous aurez compris que le Rang 50 est à Hearthstone ce que la 50e division serait au foot : c’est un gros chiffre, mais c’est tout nul, mieux vaut être Légende.

Depuis que je joue à ce jeu, j’ai envie au moins une fois de décrocher la timbale et d’atteindre ce légendaire rang. Parce que pourquoi pas. Mais bon. C’est dur (les autres se laissent pas faire), c’est long (arrivé au rang 5, il faut obtenir 25 victoires de plus que de défaites, pas forcément d’affilée, mais quand même), c’est pas toujours très motivant parce qu’un résultat satisfaisant arrive toujours trop tard pour mon exigence de perfection immédiate et oh bon sang ça me rappelle quelque chose.

Il se trouve que par un hasard de circonstances, j’ai pris un peu de temps pour “try harder” comme on dit dans le jargon, c’est à dire m’acharner à aller le plus loin possible. Et puis soyons franc, jouer c’est plus sympa que de bosser sur un roman qui… vous connaissez la rengaine. D’ordinaire j’atteins sans efforts le rang 4 ou 5, rarement le rang 3, et là j’avais touché le rang 2 avant de m’effondrer au rang 4. Et je m’étais dit, “bah, ce sera le mois prochain” (parce que la course redémarre à “Rang atteint le mois précédent moins 4” chaque mois : en janvier j’avais atteint le rang 3, et donc débuté février au rang 7).

Sauf que… vendredi 28, je me suis dit : allez, il est 22:00, j’ai bien bossé sur Valerian, sur mon roman (si si, j’vous jure), sur mes relectures, j’ai même planté des salades dans mon jardin, je m’offre un peu de détente. Et je lance mon jeu. Et je commence à enchaîner les victoires. Je décide alors de voir jusqu’où je peux aller avant le reset de minuit.

Avant de réaliser que cette année 2020 est bisextile et que j’ai encore le 29 février pour… Alors je vous épargne ma vie, mais en vrai je ne dispose par de mon samedi entier pour poncer le jeu, donc je décide de veiller… et là…

Ecran d'annonce d'obtention du dos de carte "Légende" à Hearthstone

Autant vous dire que j’étais content. C’est inutile comme escalader le Mont Blanc ou courir un marathon mais j’étais content.

Pourquoi je vous parle de tout ça ? Vous l’avez peut-être déjà un peu deviné.

Parce que le lendemain, en me réveillant, je me suis demandé si c’était bien moi qui étais parvenu à ce résultat. Certes, les habitués du jeu estiment que n’importe qui rang 5 peut passer légende, il faut juste un peu s’accrocher, et j’admettais donc avoir un bon niveau. Un niveau suffisant pour le rang 5 mais pas au-delà : je voyais mes erreurs dans ce jeu finalement très stratégique, et donc n’importe qui légende, mais pas moi.

Parce que les trucs difficiles, pour lesquels il faut s’accrocher malgré l’adversité, et sur lesquels il n’y a pas trop d’échéance, j’ai tendance à les mettre en queue de peloton sur ma to do list. Parce que j’estime manquer de combativité, parce que j’ai peur de la qualité de ma production, parce que j’ai plein d’autres choses à faire avant l’écriture d’un roman dont les retombées seront “il va falloir démarcher des éditeurs et se manger des lettres de refus”.

Et voila que sur un jeu vidéo pratiqué par 100 millions de personnes dans le monde j’arrive 651e joueur européen  (une Europe très étendue par la magie de l’éditeur). Je me retrouve comme ces gens qui ont commencé n’importe quel loisir (mettons, la course à pied) et qui se retrouvent deux ans après à réaliser une performance dont ils s’estimaient incapables à leurs débuts (courir un marathon). La réalisation est encore une fois totalement inutile en elle-même, sauf qu’elle permet exactement cela : une réalisation de son véritable potentiel.

Ce qui m’amène à reformuler la question un peu plus haut : “Procrastination, que serai-je sans toi ?” et à vous répondre : “Je vous dis ça très vite.”

(spoiler : non, je ne vais pas me reconvertir en joueur pro d’Hearthstone)

(Merci à Xavier D. pour m’avoir fait découvrir le jeu et à Wildstone, Dane, TheFishou, Oliech, Tars, Roffle, Solem, Control, jhrsk8,  Manuel C. et Franck F. pour m’avoir coaché via leurs vidéos ou leurs conseils de vive voix.)

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