Je profite du retour du soleil pour sortir le midi et aller bouquiner dans le parc tout proche. Pratique, agréable et dépaysant. Et en prime, je me cultive (ou à défaut, je vide ma bibliothèque).
On commence donc avec le célèbre American Psycho de Bret Easton Ellis, dont je l’avoue, je n’ai pas dépassé la page 100. J’étais fatigué de zapper les systématiques descriptions vestimentaires qui constituent bien sûr une mise en ambiance devant contraster avec la suite. Et encore. Aux remarques qui surgissent dans l’esprit du narrateur telles des bouffées d’hyperviolence, on comprend de quoi sera faite cette suite : une description tout aussi clinique des sévices auquel se livrera le bonhomme.
Bof. Ajoutons à cela que la très stupide préface de mon édition de poche révèle la fin du bouquin (un enjeu de plus de désamorcé). J’ai arrêté les frais.
Rappelons que ce bouquin est une commande reçue par l’auteur sur le thème : “un serial-killer à New-York”, et que son éditeur a préféré lui laisser l’argent et le manuscrit plutôt que de le publier. Je serais tenté de dire, si les faits sont avérés : “le buzz pouvait commencer”.
J’ai donc enchaîné avec une courte novella de Robin Hobb, Retour au pays, qui constitue un prélude aux cycles de l’Assassin Royal et des Aventuriers de la mer. Rien de bien transcendant dans ce court récit qui oscille entre la robinsonnade (le récit initiatique lié à la colonisation d’un ailleurs évidemment hostile) et le récit horrifique à la Lovecraft. L’auteur a choisi la forme d’un journal tenu par l’une des femmes de l’expédition, exilée du simple fait de son mariage avec un traître. Le personnage et les situations sont quelque peu prévisibles, mais se complexifient légèrement par la suite. La conclusion reste hâtive, et je suppose que l’histoire n’a de saveur qu’une fois qu’on a lu l’intégralité des deux cycles dont il est censé être l’ouverture, ou un prologue. En attendant, cette longue nouvelle semble assez dispensable.
Comme mes étagères n’étaient pas suffisamment pleines, Cochon, qui fait le vide, m’a refourgué un ouvrage. Les plus malins d’entre vous se douteront qu’il s’agissait d’un H.P. Lovecraft, en l’occurrence Les Montagnes Hallucinées. Le livre contient en fait deux nouvelles. La première, qui donne son nom au recueil, contient tous les éléments classiques des œuvres de l’auteur : les premières lignes alarmantes, l’introduction calme et tranquille, quotidienne, un premier indice, puis un autre, et insidieusement, le drame qui se trame à distance, sans que le narrateur ne puisse rien faire qu’être un témoin impuissant. Oh, c’est toujours aussi bien foutu, mais cela reste très mécanique comme construction, et certaines explications sur l’origine des créatures semblent tomber comme un cheveu sur la soupe (difficile de croire qu’on puisse apprendre tout ce qui est listé ici avec des simples bas-reliefs). Du coup, les descriptions prennent des plombes au point que j’ai bien dû sauter un tiers des pages.
Le second récit, Dans l’abîme du temps, est de mon point de vue plus original. Un professeur d’économie tombe inconscient et devient amnésique. Pendant cinq ans, il développe une seconde personnalité, qui disparaît du jour au lendemain. On pourrait croire que l’enjeu va être de découvrir ce qu’il est advenu de son véritable moi durant ces quatre années, mais une fois encore, Lovecraft préfère développer son mythe à la description d’une enquête. Je n’arrive décidément pas à comprendre pourquoi cet auteur tue de son propre aveu tout suspense dans la plupart de ses nouvelles (puisqu’il n’hésite pas à écrire juste avant ses épilogues horrifiques des expressions telles que “la terrible conclusion auquel le lecteur s’attend sans doute déjà”, montrant bien qu’il sait son lecteur suffisamment malin pour avoir compris depuis un moment où il voulait nous mener). Cela renforce le sentiment d’inéluctable qui imprègne ses écrits, mais quand bien même, je persiste à croire qu’il aurait pu introduire une tension dramatique qui n’aurait fait que renforcer l’horreur générale sans que l’ensemble vieillisse aussi mal.
Toujours dans la nouvelle, j’ai poursuivi avec Bugs de Gérard Delteil, un recueil de nouvelles autour de l’informatique et de comment elle peut nous pourrir la vie. Les idées empruntent des formes de narration très diverses, et l’ensemble en devient assez disparate. Ça se lit vite, sans que de grand texte ressorte particulièrement du lot, à part peut-être Booster Graphic Exterminator, dont tout la saveur n’est sans doute appréciable que par des informaticiens.
On se retourne vers le roman avec La solitude est un cerceuil de verre, de Ray Bradbury. Tout le monde connaît l’auteur des Chroniques Martiennes, de Fahrenheit 451 ou encore de l’Homme illustré pour ses nouvelles et romans de science-fiction. On le connaît moins pour être un amateur de roman noir, genre auquel il s’essaie ici. Il est assez amusant de passer des nouvelles vite écrites vite lues, sans véritable style, de Delteil, à la solitude : en moins de 10 pages du second, on y trouve plus de littérature que dans les 250 pages du premier. C’est formidablement bien écrit, donc, l’ambiance est extraordinaire, et les personnages sont tous plus originaux les uns que les autres. Tout se passe dans la brume de Venice, Californie, en 1949. La station balnéaire n’en finit pas de mourir entre des canaux maritimes noirs de pétrôle, des commerces miteux, des stars du muet excentriques et des solitudes ordinaires. Ça fourmille d’idées, d’images, de folie : bref c’est magnifique.
Petite déception, à cause de semaines très chargées, je n’ai pas vidé plus mes étagères. Mais qu’à cela ne tienne, on se retrouve le mois prochain !