Je marche avec Jean-Marie, dans la rue. Et nous discutons, calmement, des rares points sur lesquels nous parvenons à nous entendre. Nous évitons soigneusement les sujets qui fâchent, et nous parvenons à échanger des impressions.
C’est déjà ça.
Il observe par dessus mon épaule la même affiche que moi. Slogans syndicalistes, extrême gauche, postiers lancés en politique. Je regarde ça par curiosité, mais je suis encore plus intrigué que ça l’intéresse, lui.
_ Il faut savoir ce que raconte l’ennemi, vous savez, m’explique-t-il.
_ Mon père dit souvent ça. Je l’applique fréquemment. A votre propos, entre autres.
_ C’est classique.
Nous marchons tranquillement. Dans la rue, les gens ne se retournent même pas sur lui. Il est plus vieux qu’il ne paraît à la télé. Plus petit et plus lent, aussi. Il n’a pas sa dose de médias sans doute.
_ Je vous voyais plus… hargneux.
_ J’ai 82 ans.
_ Sacré décision que vous avez du prendre.
Il ne répond rien, et son silence semble dire que le temps a choisi pour lui.
On ne se parle pas beaucoup : nous n’avons pas grand chose à nous dire. Tout juste évoque-t-on le grand Charles, qu’il a sinon connu du moins cotoyé. On esquive le fils, le petit Charles. 50 ans de vie politique, un rêve effleuré pour lui, un grand ouf pour nous.
_ Encore que. Notre Président a réussi là où j’ai échoué.
_ Vos méthodes sont différentes, à vous et à lui, je veux dire. Même si le fond reste le même, il procède différemment.
_ Je pouvais difficilement changer, au bout de tout ce temps.
_ Comme Chirac et ses 50 ans de Pento.
_ Si on veut. Le nabot a joué une autre carte dans le même jeu. Beaucoup de communication. Replis communautaristes. Right man at the right time, comme disent ses amis américains.
Je suis forcé d’être d’accord avec lui, même si ce constat m’écœure. Quand on en vient à être d’accord avec Le Pen, où va le monde ?
Je me réveille. La journée s’annonce bizarre.