Seul et abandonné au mois d’août, j’ai du temps pour lire. Une petite heure avant de me coucher, dans le métro qui m’emmène ici ou encore là, dans le train qui me balade ailleurs… Autant en profiter, au soleil, si possible.
Les quatre livres du Secret de Ji de Pierre Grimbert composent le premier volet du tryptique du Cycle de Ji. Pompons honteusement Wikipedia pour pitcher l’histoire :
Il y a 118 ans, un certain Nol l’étrange manda un émissaire de chaque royaume du monde connu pour l’accompagner sur l’île Ji, et effectuer un long et dangereux voyage. Peu d’émissaires revinrent, et aucun d’ eux ne raconta les évènements qui s’étaient passés sur l’île. Les héritiers de ces derniers se réunirent régulièrement pour célébrer le voyage sur l’île Ji, et ils pensent être les seuls à se rappeler cette affaire vite étouffée, jusqu’au jour où des assassins fanatiques se mettent à les éliminer un à un. Il ne reste alors qu’une chance de survie aux héritiers : percer le secret de Ji…
On suit facilement l’auteur dans cette histoire de medieval fantasy qui ne comporte ni elfes ni nains (la fantasy se divise en deux grands genres, celles avec des elfes, et celle sans). Ici pas de dragons (encore que…), de gobelins et de magie omniprésente, ou alors de manière inconsciente : certains peuples humaines considèrent la marée comme une intervention divine, et si des phénomènes surnaturels existent (un des personnages principaux peut communiquer simplement avec les animaux, non sans difficultés), elles ne sont pas invoquées à tout bout de champ – et c’est heureux. Cet univers rafraichissant me fait d’autant plus regretter le recours à des noms de villes, de peuples ou de personnes qui me font l’effet d’un mauvais tirage au scrabble – quand ils ne sont pas honteusement pompés sur certains noms présents dans le jeu de cartes Magic The Gathering. J’admets que c’est une référence peu connue du grand public, mais très fréquente chez les amateurs du genre fantastique. Passons.
Le récit se lit facilement et on suit les personnages dans leurs aventures sans autre difficulté qu’un certain agacement au vu des aspects un peu archétypiques des personnages : le jeune pêcheur un peu naïf qui acquiert progressivement des compétences au contact du monde, le jeune premier roublard et séduisant, la pimbèche traumatisée à qui on a envie de mettre des claques, le vétéran bougon au cœur d’or, la vieille diplomate magicienne, le géant sympathique qui parle aux animaux (tiens, je viens de me dire qu’il ressemblait à Hagrid, celui-là…), bientôt rejoint par une prêtresse idéaliste (mais pas fanatique, hein, le modèle tolérant). Une équipe un peu trop classique de héros de chanson, donc. Il n’est pas simple de s’attacher aux personnages dans ces conditions, mais on n’éprouve pas d’antipathie radicale à leur égard. Le premier tome se lit agréablement, rapidement, sans grande surprise ni grande émotion. Tout cela respire une certaine évidence dans le récit, non pas qu’on devine l’intrigue à des kilomètres, mais les situations sont assez classiques et l’évolution des personnages est presque toute tracée. Pierre Grimbert est réputé pour ses nombreux romans fantasy pour la jeunesse, et effectivement, bien que destinée à un public plus adulte, Le secret de Ji me parait un bon ouvrage pour enfant / adolescent. On est loin de l’âpreté d’un Trône de fer, ou des difficultés psychologiques d’un Assassin Royal. Sans vouloir la mort systématique des personnages, on aimerait trembler un peu plus pour eux, voire que s’effacent certaines aberrations comme lorsque lors du combat final contre le très très méchant, un des héros se retrouve blessé, désarmé, maintenu au sol par un pied sur la poitrine… mais épargné sans raison. Finish him bon sang ! Je passe rapidement sur le fait que
On parvient au bout des quatre tomes rapidement et avec l’envie de connaître la fin de l’histoire, avec cependant le regret de personnages finalement trop lisses (même leurs défauts, bien anodins, servent leurs nombreuses qualités et leur bonté générale) et très ménagés par l’auteur – ce qui implique moins le lecteur dans leurs aventures, dont on sent qu’elles se finiront bien. Comme j’ai pu lire ailleurs, un bon livre de plage, donc – ou page turner, comme disent les anglo-saxons.
Après ces aventures, un petit tour dans l’espace m’emmène retrouver la Fondation d’Isaac Asimov avec Fondation et Empire, le deuxième tome de la saga. La structure narrative est toujours la même : la Fondation qui doit assurer la survie de l’humanité en réduisant à mille ans la période de barbarie consécutive à la chute de l’Empire Galactique rencontre des crises prévues par son fondateur, crises qu’elle doit surmonter à chaque fois par un moyen différent. Au delà du plaisir à suivre les moyens qu’utilise la Fondation pour séduire, rallier ou défaire ses ennemis, on apprécie le côté suranné de la technologie de science-fiction présentée par Asimov. Tous les réacteurs d’astronef, les champs de protection, les armes, les perceuses, sont “atomiques” (le summum de la technologie en 1952 quand l’ouvrage est paru). Les transmissions sont encore transmis sur des petits rouleaux de papier et les ordinateurs calculant les trajectoires sont copieusement assistés par le calcul et l’expérience humaine – autant de decorum daté qui donnent finalement du charme à l’ensemble et encouragent à se consacrer aux péripéties, aucun élément technologique n’étant en soit indispensable. L’essentiel est de retenir que la Fondation détient un savoir et une avance technologiques considérables sur leurs adversaires prétendument “civilisés”.
L’intrigue s’enrichit cependant bien vite avec un événement que Hari Seldon, l’initiateur de la Fondation, n’avait pas prévu à l’aide de sa science prédictive : quel va être le poids de cette inconnue dans les équations mathématiques qui régissent l’avenir de la Fondation ? Ce rebondissement de taille évite à la série de s’enfoncer dans le prévisible et le routinier, en nous emmenant à la recherche de la Seconde Fondation, jumelle de la première, située quelque part de l’autre côté de la Galaxie.
Et ça tombe bien, le troisième tome du cycle s’appelle Seconde Fondation… mais ça sera pour septembre, pour le moment, je m’attaque à World War Z, de Max Brooks (le fils de Mel, parfaitement).
Sous-titré “An oral history of the zombie war” (parce que oui, je le lis en VO), ce roman nous expose en introduction son fonctionnement : il est composé de témoignages recueillis par un fonctionnaire de l’ONU suite au conflit qui a ravagé durant dix ans l’humanité. Ne pouvant supporter que l’aspect humain de ces témoignages soit coupé du rapport final émis par l’ONU, l’auteur décide d’en faire un livre, estimant que le côté humain est ce qui nous différencie de l’adversaire affronté. Quel adversaire ? Des Zombies. Mais ne vous arrêtez pas à ce mot ! Nous sommes loin des délires gore et sans cervelle ailleurs qu’étalée sur les murs : en trois pages d’introduction, le ton du roman de Max Brooks est donné : l’éventuelle dureté et l’horreur prévisible d’un tel univers ne serviront qu’à enrichir des histoires profondément humaines. La qualité d’écriture est au rendez-vous et sert un récit terrifiant, non pas pour son aspect “créatures horribles qui poursuit un groupe d’étudiants”, mais pour la précision et le réalisme avec lesquels l’apocalypse est décrite, car le roman emprunte beaucoup au style documentaire. On appréciera également la richesse d’une intrigue à l’échelle de l’humanité, avec une fin ouverte mais où les zombies sont défaits, là où d’habitude, les affrontements de zombies se soldent par la victoire des créatures sur un groupe désuni d’individus caricaturaux.
La chute de la société et la propagation d’un virus apocalyptique avait déjà été abordés par Stephen King dans le Fléau, mais en un chapitre vertigineux par sa concision : en deux ou trois pages, l’auteur nous montrait comment la pandémie se propageait sans aucun contrôle possible. Max Brooks reprend le même principe, en développant le contexte économique et politique d’un monde qui pourrait bien être le notre : Israël s’est retiré de Gaza et des colonies, les États-Unis sortent d’une administration qui les a emmené huit ans dans une guerre éreintante aussi bien pour leur économie que pour leur moral guerrier, la Chine est une super-puissance dictatoriale, l’Iran a développé un programme nucléaire… La grande force du récit est de ne nommer aucune personnalité du monde réel pour rendre le récit contemporain par son atemporalité. L’horreur se situe donc à une autre échelle que celle des films du genre : les scènes où des individus tentent d’échapper aux zombies sont contrebalancées par des mises en perspective au niveau de la planète entière, qui nous permettent de comprendre comment on en est arrivé à cette situation de “grande panique”, sans échappatoire possible… dont on sait pourtant qu’elle aboutira sur une victoire des humains sur les zombies : ce n’est donc pas la fin qui nous intéresse ici, mais véritablement les moyens pour y parvenir.
C’est de loin un des livres les plus originaux et amenant le plus de réflexion sur notre société que j’aie lu ces derniers temps : jetez-vous dessus !
Je suis en revanche resté assez indifférent au Square de Marguerite Duras. Ce long dialogue entre un homme et une femme qui engagent une conversation dans un square m’est resté hermétique. Duras a adapté le roman en pièce de théâtre, et vu la matière première, je suppose qu’il s’est agit surtout de couper : on peut supposer que le texte a gagné en intensité (on parle malhereuseument d’un texte de 140 pages en Folio imprimé en gros caractère… un truc assez rapide à lire donc, et assez bavard). Soit je n’ai rien compris au message de l’œuvre, à ces deux personnages qui ont envie pour elle de se marier, pour lui de ne rien changer à ses bonheurs minuscules de célibataires, soit le texte est tellement daté et la tournure des dialogues tellement surannée que je me suis focalisé là-dessus en passant à côté…
Rendez-vous manqué avec Marguerite, donc.
Petite parenthèse : si la pile de bouquins en attente de lecture diminue considérablement, je suis toutefois assez contrarié. A part les quatre tomes de la Tour Sombre et le Houellebecq que j’ai rendus à leurs propriétaires respectifs, ma bibliothèque ne se vide pour ainsi dire pas… Va vraiment falloir déménager…