Pourquoi je n’achèterai pas Neverwhere de Neil Gaiman en eBook (même à 2,99$)

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Ou comment les distributeurs s’emploient à ne pas vendre leurs articles.

Neil Gaiman n’a pas besoin de moi pour qu’on sache que c’est un auteur de talent.

Il a scénarisé la BD Sandman qui a depuis son édition originale, connu de multiples rééditions, une version ultimate et une version annotée très fouillée. Il a écrit des romans parmi lesquels Stardust, qui est devenu un film, American Gods, qu’il adapte en série pour HBO, et a collaboré avec Terry Pratchett pour De bons présages. Cela suffit, quand on a apprécié ces ouvrages, à vouloir en lire davantage de cet écrivain.

Neil Gaiman est présent sur Twitter, activement. Il sert des gazouillis pour communiquer avec ses fans, relayer leurs demandes d’aide pour des projets de crowdfunding et, bien sûr, pour promouvoir ses oeuvres et celles qu’il apprécie. Quand il a signalé que la version électronique de Neverwhere, l’un de ses romans, était en promotion sur Amazon, je suis allé faire un tour sur le site du marchand. Après tout, 2,99$ ne représente pas une somme monstrueuse pour un bon bouquin.

Hélas.

Tout d’abord, on ne se refait pas, Amazon vend des livres électroniques dédiés à sa plateforme, le Kindle. Bien sûr vous pouvez installer l’application éponyme sur votre smartphone et récupérer vos achats ailleurs que sur la liseuse du commerçant américain, mais ça commence mal. Ensuite, il y a les DRM. Ils présentent une caractéristique commune avec Gaiman : plus besoin de les présenter. Malheureusement, c’est en mal que ces cochonneries sont connues et à raison. Les DRM sont des protections logicielles qui empêchent le transfert d’un fichier d’une machine à une autre. Seul l’acheteur peut lire son achat. Il ne peut pas le prêter, à moins de prêter la machine qui va avec et qui a servi à l’achat.

C’est déjà une aberration en soi. J’ai lu American Gods parce que Cochon Dingue me l’avait prêté. Et oui, entre amis, nous nous prêtons des livres. Nous nous recommandons nos lectures. La déplorable conséquence de ceci est que nous achetons moins de livres, si on en croit le point de vue borné des majors et autres distributeurs. Qui ne se disent pas que grâce au prêt, j’ai pu lire un titre de Gaiman, que j’en ai dit tout le bien que j’en pensais, que j’ai acheté Anansi Boys, que j’ai critiqué à son tour, donnant, peut-être, à quelques uns de mes lecteurs, l’envie de lire ces deux romans et donc… de les acheter.

Jean-Marc Manach déplorait récemment la démarche aberrante d’une maison d’édition qui envoyait aux journalistes des livres électroniques pistables. Cette société oubliait qu’un exemplaire “dans la nature” possède plus de chances d’être lu et donc de faire sa promotion (et donc celle de l’auteur et de sa maison d’édition) qu’un exemplaire contrôlé au point d’être enfermé.

Bref, je reproche au livre numérique d’être, en l’état actuel, limité par une démarche commerciale qui tue l’aspect social – et recommandation que cela implique – de l’objet livre. Alors que les réseaux sociaux sont utilisés comme plateforme de promotion, on assiste à une schizophrénie de la part des maisons d’édition : “parlez-en mais ne laissez pas les gens se faire leur propre opinion sans nous avoir versé notre dîme”.

Admettons cependant que je sois un riche égoïste, à qui la dépense importerait peu et qui se moquerait éperdument de faire profiter à ses proches de ses saines lectures (cette hypothèse impliquerait que je cesse séance tenante d’écrire cet article, mais ne digressons pas trop). Notons, dans ce postulat de départ, que je suis riche parce que pingre : j’ai construit ma fortune en sachant économiser chaque sou.

Quelle est donc ma réaction en voyant cette promotion pour un livre à 2,99$ ? Je saute sur l’aubaine et clique sur le lien, afin de faire une substantielle économie sur une ouvrage de qualité – que je garderai pour moi, n’est-ce pas.

Et là quand j’arrive sur Amazon.com et que le livre m’est proposé à plus de 7 euros parce que l’achat s’effectue en France, je réagis comment, selon vous ?

Les livres en VO ont toujours été plus chers que leurs homologues traduits – une aberration en soi puisque le travail du traducteur coûte, ou devrait coûter, à mon sens, bien plus que du transport de papier, fut-il taxé en douanes avant et après avoir traversé l’Atlantique, la Manche, le Rhin ou les Pyrénées.

Pour un livre électronique, dématérialisé, donc, sur lequel aucun coût de transport, de stockage ou de prévision d’invendus ne peut être imputés, quels surcoûts peuvent engendrer la localisation géographique d’un achat ? Si on fait encore abstraction des taxes, rien. Par contre le distributeur peut décider de gratter un peu plus de marge parce que… parce que… parce que la thune c’est bon, surtout quand on la leur donne.

Et pourtant, des bouquins en anglais que je recommande, ça existe aussi : je l’avais fait pour World War Z de Max Brooks. Pire, après l’avoir acheté en anglais, je l’avais acheté en français pour mon meilleur ami.

Entendons-nous bien. Je ne blâme certainement pas Neil Gaiman, dont la position pro-partage n’est pas un mystère. Je déplore qu’il soit, comme ses lecteurs, d’ici ou d’ailleurs, victime de distributeur qui sous couvert de défendre la création artistique, ne font qu’élever des barricades pour préserver leurs marges.

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