Comme je vous l’ai déjà dit, je suis en train d’écrire mon troisième roman. Mon fils aîné, qui suit avec intérêt mes progrès littéraires du haut de ses 9 ans et demi, me demandait hier : “alors papa, de quoi parle ton prochain livre ?”
Bien sûr il m’a posé cette question alors que j’étais en train de préparer le repas, donc pas du tout prêt. Je connais mon histoire par cœur, elle progresse, elle avance, j’en trouve de nouveaux éléments chaque jour. Mais la résumer en quelques mots pour un enfant de presque dix ans, qui ignore tout des genres, et que je n’ai pas envie de retrouver hurlant dans son sommeil le soir-même… Je bredouillais des tentatives de résumé toutes plus banales les unes que les autres. Parce qu’évidemment, j’avais aussi envie d’impressionner mon grand garçon – son frère cadet faisait s’affronter des cow-boys et des hommes-bêtes dans sa chambre autour d’un trésor inestimable en pâte à modeler.
“C’est l’histoire d’une jeune femme à qui il arrive des aventures euh… mais elle ne les a pas cherchées…” OK, c’est nul. En désespoir de cause, ne parvenant pas à lui résumer en quelques mots, à lui pitcher mon histoire, je commence à la lui raconter de manière exhaustive… jusqu’à la révélation. “C’est l’histoire d’une jeune femme qui veut découvrir ce qui est arrivé à ses parents, qui ont disparu quand elle était bébé.”
Tout d’un coup, les motivations de mon personnage principal me revenaient avec la force de l’évidence. Bien sûr qu’il va lui arriver des choses imprévues, qu’elle n’avait pas cherché, bien sûr que la vérité serait plus folle que tout ce qu’elle pouvait imaginer, mais avant tout : elle veut savoir pourquoi et comment ses parents ont disparu. C’est une motivation puissante, profondément universelle, et qui a immédiatement parlé à mon fils aîné. J’étais très content d’avoir enfin su résumer mon histoire mais plus encore, d’en avoir retrouvé le fil rouge essentiel, qui guidera mon héroïne dans son parcours et lui donnera un but.
Changer de point de vue
Changer de point de vue, prendre du recul, adopter une autre perspective : un conseil vieux comme le monde. Vous corrigez un texte ? Imprimez-le en changeant l’interligne, la police, la taille, n’importe quoi qui fera que votre texte vous apparaîtra différemment sous vos yeux. Ce changement d’aspect et l’oeil neuf que nous portons sur cette nouvelle apparence explique pourquoi nous repérons avec effarement des coquilles dans nos productions une fois imprimées, un désastre que tous ceux qui ont bossé sur un texte pendant des semaines connaissent (salut à toi, la thésarde, salut à toi, le romancier).
Mais quand il s’agit de créer, comment faire ? Comment “imprimer” son récit ?
Les programmeurs ont trouvé la solution depuis bien longtemps et ont même transformé le principe général en méthode éprouvée : ils parlent à un canard en plastique. Pas tous, mais beaucoup d’entre eux. Le processus consiste à décrire chaque étape du code informatique et permet de faire apparaître à l’interlocuteur, le but et le fonctionnement de l’étape en question. Et donc de faire prendre conscience des erreurs et des oublis. Quand ils n’ont pas de collègues à qui expliquer ce que fait leur code informatique, ils emploient un canard.
“Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement.”
L’inverse est évidemment vrai : ce qui n’est pas clair dans votre tête sera tortueux à raconter. Là où le dicton peut induire en erreur, c’est dans l’incitation implicite à clarifier le récit avant de raconter. Tout contre-intuitif que cela puisse paraître, raconter à quelqu’un qui ne connaît pas ce dont vous parlez vous permettra de clarifier.
Nous avons tous expérimenté ce phénomène. En prise avec un problème dont la solution peine à apparaître, vous sollicitez l’aide d’une personne extérieure et alors même que vous lui exposez ce que vous souhaitez faire, magie, la solution apparaît. Votre aimable auxiliaire repart en n’ayant rien fait, parfois même il n’a même pas eu à vous écouter, car le temps qu’il arrive, vous prépariez votre exposé et la solution se faisait jour.
En devant présenter un programme informatique – ou un récit – à une personne extérieure, totalement ignorante du sujet, vous vous forcez à prendre du recul, à repartir à zéro : que devrez-vous dire à cette personne pour qu’elle comprenne ce dont vous allez lui parler ? Quels éléments essentiels devrez-vous porter à sa connaissance pour qu’elle puisse vous aider ? Ce simple passage en revue devrait vous permettre de vous recentrer, de découvrir les problèmes majeurs de votre travail ou de l’angle sous lequel vous l’abordez.
Au-delà du simple déblocage, cette technique toute bête vous permettra de découvrir, ou de vous rappeler, le thème central de votre histoire. Comment allez-vous susciter l’intérêt du lecteur ? “C’est l’histoire de quelqu’un qui vit des aventures” ou “c’est l’histoire de quelqu’un qui veut savoir ce que sont devenus ses parents”, pas besoin d’insister : la seconde formulation, qui comprend la première, est la plus intéressante. Le lecteur s’identifie de suite au personnage et veut comme lui découvrir ce mystère.
Et vous, quel mystère votre personnage doit-il résoudre ? Que voulez-vous faire découvrir à votre lecteur ?