Peu de personnes peuvent se vanter d’avoir pu changer le monde, encore moins le sauver. Peu y parviennent – trop de gens ont intérêt à ce que rien ne change.
La première fois, personne n’a compris ce qui s’était passé. Un braquage, le vigile qui joue les héros, le cambrioleur qui s’apprête à lui régler son compte, un coup de feu, un cri, un bruit de chute… mais au lieu d’un cadavre, un bloc de carbone cristallisé avec en son centre, la balle. Le vigile recouvra en premier ses esprits et assomma le malfaiteur. Tout le monde avait mieux respiré après ce choc. Rien que de très normal. À part ce diamant brut, gros comme le poing, avec en son centre une munition 9 mm.
Tout aurait pu s’arrêter là si les bandes de vidéo-surveillance avaient été défaillantes. Elles fonctionnaient cependant très bien et permirent d’identifier chaque personne présente dans la banque. Parmi elle, une jeune femme noire, une cliente, entourée d’un étrange mouvement d’air quand le coup de feu avait retenti. Un mouvement d’air perceptible malgré la faible résolution des images des caméras de surveillance.
La jeune femme reparut à plusieurs occasions. Cette fois, elle allait au devant du danger. Elle avait appris, sans doute comme tant d’autres avant elle. Alors que sa première intervention ne reposait que sur l’instinct, désormais elle maîtrisait son pouvoir. Diamond, comme la presse et le public l’appelèrent bientôt, possédait l’étonnante capacité de manipuler la matière – avec une restriction de taille cependant : elle ne pouvait que condenser le carbone. Une contrainte dont elle s’accommodait puisque le diamant reste à ce jour la matière naturelle la plus dure.
Il apparut bientôt qu’elle préférait intervenir en extérieur, cueillant les braqueurs à leur sortie des établissements qu’ils dévalisaient : elle disposait à l’air libre de réserve de matière première quasi illimitée. Elle réorganisait le dioxyde de carbone qu’elle puisait dans l’atmosphère pour entraver les jambes des malfrats et recouvrir leurs armes d’une pellicule de diamant, indestructible à mains nues. À charge de la police de les sortir des gangues du précieux caillou.
Non seulement les rues retrouvaient leur sécurité, mais encore les prisons, puis bientôt les écoles, les hôpitaux, tous les services publics bénéficièrent de l’intervention de la super-héroïne. Contrairement aux milliardaires paranoïaques qui investissaient des fortunes en gadgets à leur seul usage pour lutter contre le crime, les interventions de Diamond finançaient par leurs retombées tous les programmes possibles pour obtenir une société meilleure.
Elle subit bien sûr quelques tentatives d’enlèvement de la part de cupides qui comptaient exploiter son talent à leur seul profit. Ils avaient oublié que le carbone constitue l’un des premiers éléments sur lequel le corps humain est construit. Leurs cadavres furent retrouvés, transformés en statues cristallines…
Malgré les bénéfices extraordinaires que la société tirait des pouvoirs de Diamond, le plus étonnant restait à venir. Lorsque les scientifiques du GIEC annoncèrent que la concentration en CO2 de l’atmosphère diminuait pour la première fois depuis des années, dans des proportions incompréhensibles en se basant sur les seuls modèles climatiques et économiques, la presse ne mit pas longtemps à relier l’annonce avec les prouesses de la jeune femme. Celle-ci refusa de se soumettre aux expériences que les laboratoires lui proposaient.
Peut-être qu’en souhaitant conserver sa liberté, Diamond perdit la vie.
La pluie de diamants dont elle inondait le monde et qui purifiait littéralement l’air que nous respirions avait précipité les cours du joyau dans des tréfonds abyssaux. La manne financière avait été de courte durée pour les institutions – ce que les bénéfices atmosphériques pouvaient largement compenser. Hélas, des magnats de l’exploitation minière avaient perdu des fortunes dans les années qui avaient suivi l’apparition de la super-héroïne. À ce jour, le sniper qui abattit Diamond d’une balle dans la tête tirée à plus d’un kilomètre de là court toujours.