Reprise d’une chronique trop longtemps interrompue pour cause d’écriture (plus à ce sujet bientôt)
Un mois de mai plus calme (d’un certain point, mais n’attendez pas que je détaille ici) m’a permis de vider quelque peu mes étagères de livres à lire.
Beaucoup de bandes dessinées, d’abord.
Ce fut tout d’abord le dernier tome de la série De cape et de crocs qui y passa. Et quand je dis “dernier”, c’est “dernier”. Ayrolles et Masbou font tomber le rideau sur quatorze ans d’aventures de Maupertuis et Villalobos, les deux gentilshommes bretteurs et rimailleurs qui ont voyagé de la Terre à la Lune. Le voyage du retour s’annonce pour le moins mouvementé…
Premier regret, purement esthétique dans ma bibliothèque : les neuf premiers tomes étaient joliment répartis entre trois beaux coffrets, le dixième tome, esseulé, fait un peu “dernier rataillon”. C’est un peu idiot, on aurait préféré deux coffrets de cinq, mais passons.
Deuxième regret, et bien, c’est le dernier tome et il n’y aura plus de ces percutants dialogues, de cette fantaisie toute “XVIIème siècle”, de cape, d’épées, de théâtre, d’amour et de fantastique.
Troisième regret, et c’est peut-être là le plus dommage, c’est qu’on a le sentiment que ce dernier tome conclut un peu trop rapidement toutes ces aventures. On découvre, un peu déçu, de trop nombreuses planches remplies d’un texte “alors on va vous conclure cette partie de l’intrigue”. L’effet est un peu plaqué et on en vient presque à se demander si les auteurs ne souhaitaient pas se débarrasser de cette série. C’est regrettable car cela ne fait que souligner l’aspect convenu et attendu de certaines intrigues qu’on espérait plus surprenantes qu’éculées. En relisant les tomes précédents, on se rend finalement compte que tout le charme de Capes et de Crocs réside dans un savant mélange entre l’univers, le trait avec lequel il est rendu et les formidables dialogues. L’histoire et les intrigues demeurent au final très classiques – ce qui est presque normal me direz-vous, mais on a tant aimé ces albums qu’on attendait un fin plus grandiose et surprenante que ce dernier tome en forme d’épilogue.
Petit passage par la série noire avec Janice ne répond plus de John D. McDonald. Le titre est épuisé depuis longtemps mais doit encore se trouver dans les bibliothèques ou chez les bouquinistes et autres sites de vente d’occasions. Et c’est une belle occasion, même si la version originale est sans doute bien meilleure que cette traduction catastrophique. Ce polar fait partie de ces titres écrits au kilomètre, probablement payé à la page : c’est écrit vite, tout en dialogue, et les descriptions sont quasiment absentes. En revanche, on admirera l’efficacité de l’ensemble : sans refuser quelques trouvailles d’écriture et idées croustillantes, tout sert l’intrigue et chaque ligne sert le propos principal. Une véritable ambiance s’installe et chaque paroles qu’échangent les personnages permettent au roman d’avancer. Ça se lit très vite, ça finit somme toute assez mal pour les “héros”, bref, une bonne série noire qui donne envie d’en lire plus de cet auteur.
Retour à la BD et au manga plus précisément avec Gunnm Last Order. Pour resituer dans le contexte d’écriture de cette série qui est la “suite” de Gunnm, l’auteur, Yukito Kishiro, avait expliqué à la fin de sa première série, qu’il était trop ébranlé pour continuer comme il l’aurait souhaité. Les aventures de Gally, le cyborg aux sentiments plus réels que certains humains, s’interrompait sans que toutes les réponses soient données sur ses origines. Malgré cela, les neuf tomes de Gunnm formaient un tout cohérent.
Remis d’aplomb quelques années plus tard, Yukito Kishiro a décidé de se remettre à l’écriture et à la planche à dessin pour finaliser et compléter sa série. Cela laisse un peu la même impression que la récente trilogie Star Wars : de bonnes idées mais dans une narration qui s’oublie un peu. Dans le cas de Last Order, Kishiro veut à toute force nous expliquer les origines de son monde : comment la Terre est devenue ce qu’elle est, comment sont nés certains personnages (humains, cyborgs ou ordinateurs…), etc, etc… Pourquoi pas, sauf que Kishiro part dans des élucubrations où son personnage principal est absent durant deux, voire trois tomes complets. On est loin de ce dessin en toile de fond qui se formait au cours des neufs tomes de la série originale et qui contextualisait le récit : ici on veut nous apporter des réponses aux questions que l’on ne se posait pas.
Ajoutons à cela les délires philosophico-martiaux à propos du karaté et autres et la soupe est assez indigeste. Vraiment dommage.
On change totalement de registre avec Épées et Brumes, de Fritz Leiber. Ce troisième tome des aventures de Fafhrd le Barbare et du Souricier Gris ne déroge pas à mes précédentes critiques. C’est assez bien écrit mais il ne se passe pas grand chose. On pourra s’amuser de trouver dans cet opus une nouvelle qui a directement inspiré Terry Pratchett : Jours maigres dans Lankhmar décrit le système religieux dans la ville de Lankhmar et il suffirait d’un imperceptible changement de style pour que cela devienne du grand n’importe quoi (de talent !) comme on en trouve dans les Annales du Disque-monde et à Ankh-Morpok (rappelons que les consonances semblables des deux villes ne doivent rien au hasard).
Les deux autres nouvelles semblent elle s’inspirer de Lovecraft et de son mythe de Cthulhu, sans porter la dimension de menace à l’échelle d’une planète. Bon. Je reste véritablement sur ma faim concernant Leiber et son Cycle des Épées qui était porté aux nues comme texte fondateur de tout un pan de la fantasy. Je cherche encore et soit je n’ai décidément rien compris, soit ça a très mal vieilli.
La bonne surprise du mois est due à Chwip, qui m’a gentiment offert Maître de l’espace et du temps de Rudy Rucker quand je m’étais rendu dans sa chaude province. C’est un roman de Science-fiction, mais pour vous donner une idée du ton de l’ouvrage, Michel Gondry a été un temps pressenti pour l’adapter au cinéma. Et cette histoire de scientifique barré et irresponsable qui assemble une machine improbable lui octroyant les pouvoirs d’un dieu n’aurait pas dépareillé dans la filmographie du réalisateur de Eternal sunshine of the spotless mind et de la Science des rêves.
L’intrigue de départ est somme toute assez simple. Une version miniature de Harry Gerber apparait un jour dans la voiture de son ami Fletcher, lui sommant de se rendre le lendemain à son atelier pour l’aider à construire une machine à blonzer qui le rendra Maître de l’espace et du temps. Fletcher a du mal à y croire, d’autant que Gerber ne fait plus grand chose que réparer de l’électro-ménager depuis qu’ils ont été virés de leurs postes de chercheur. Mais n’ayant rien de mieux à faire, Fletcher se rend chez son pote. Ils assemblent à partir d’éléments disparates une drôle de machine qui rend Gerber tout-puissant pour deux heures. Ces deux heures vont être richement employées, à exaucer des vœux, et à résoudre les problèmes qu’ils engendrent. Ça part dans tous les sens et c’est plaisant à lire, l’univers est riche et foutraque à souhait et pas si éloigné du notre : un régal.
Rendez-vous le mois prochain. Il y aura du voyage en train entre temps donc théoriquement, du temps pour lire.